Article programmatique
Vivre les tours
Habiter dans une tour du 13e arrondissementL'émergence des tours d'habitation à Paris est devenue le fer de lance d'un débat épineux : sommes-nous destinés à vivre dans des tours d'habitation ? Cette question est exacerbée par la récente finalisation des tours Duo, qui se dressent dans le 13e arrondissement, tandis que le début de construction de la tour Triangle dans le 15e arrondissement suscite des incertitudes et des inquiétudes propices au débat. Au-delà de leur statut d'édifices impressionnants, ces tours incarnent désormais l'identité même de leur quartier d'implantation. Elles incarnent la modernité. Les avis divergent entre ceux qui voient dans la verticalité la solution aux défis de l'urbanisation et les sceptiques qui remettent en question la pertinence de ces structures emblématiques dans une ville historiquement façonnée par une urbanité à taille humaine. Cette dualité soulève une question fondamentale : les tours d'habitation, en devenant une part très importante de l'identité du 13e arrondissement, sont-elles une opportunité ou une erreur dans la capitale française ?
Ces tours, souvent associées au logement social et aux grandes initiatives urbanistiques, offrent une opportunité de découvrir une variété de récits, de vécus, d’histoires de la part de leurs habitants, de lieux propres. Ces récits permettent de raconter l'évolution d'un quartier, en mettant en évidence le contraste entre l'idéal urbain envisagé et la réalité de la vie quotidienne. Dans quelle mesure la dualité inhérente aux tours, oscillant entre l'idéal de conception et la réalité vécue par les habitants, peut-elle être le témoin d’un mode de vie propre aux habitants du 13e arrondissement ? Est-il possible de valoriser pleinement l’habitat en tour, en faisant appel aux récits dont elles sont l’objet ?
Les tours, un idéal paradoxal ?
Henri Lefebvre, philosophe et sociologue français, publie un ouvrage majeur de la pensée urbaine. Le droit à la ville a joué un rôle crucial dans la formation des idées sur la nature de la ville et des espaces urbains. L’ouvrage paraît dans le même contexte politique, social que la construction des grands ensembles et l’élaboration du modèle de tours.
La réflexion d'Henri Lefebvre sur le droit à la ville et la place de l'individu au sein de l'environnement urbain soulève des questions cruciales quant à la manière dont l'homme interagit avec son habitat, notamment en ce qui concerne les formes de logements emblématiques, telles que les tours d'habitation. Celles-ci, en tant que symboles architecturaux des métropoles modernes, les défis posés par la qualité de vie des espaces urbains de plus en plus denses et verticaux. Dans cette optique, il est essentiel d'examiner comment ces structures imposantes influencent non seulement la forme de nos villes, mais aussi notre expérience vécue au quotidien de l'habitat urbain.
Théorie de l'espace conçu et l’espace perçu, Croquis, Lily Meunier 13/11/2023
Une de ses théories qui nous intéresse ici est celle de l’espace perçu et l’espace conçu. Elles constituent les deux dimensions majeures de l’espace social. Cette distinction l’a parfois conduit à des oppositions d’ordre dualiste : l’espace perçu, qui renvoie à la perception quotidienne de l’espace par ceux qui l’habitent, irait de pair avec l’espace vécu, tandis que l’espace conçu désignerait les représentations abstraites et techniques de l’espace, qui sont souvent celles des ingénieurs, des constructeurs et des promoteurs immobiliers, mais aussi des décideurs politiques, en particulier ceux des décennies de l’après-guerre. L’espace conçu renvoie ici aux notions de renouvellement urbain et la création de tours dans le 13e arrondissement. Michel Holley, l'un des acteurs du projet Italie 13, avait pour vision la construction en hauteur dans le but de libérer des espaces au sol et d'assurer aux appartements une meilleure luminosité. Également cette vision permet d'intégrer la séparation des fonctions : les voies destinées à une circulation automobile importante doivent être distinctes de celles qui sont consacrées à la desserte locale ou aux trajets piétonniers. Visions empruntée à la charte d’Athènes (1) .
“On pourrait remonter à la tour de Babel. L’idée de ville telle qu’on la vit encore aujourd’hui est née en Mésopotamie. Avec l’urbanisation, le désir de s’élever se manifeste avec la ziggourat de Babylone. Le mythe de Babel, c’est à la fois l’élévation intellectuelle et la chute de l’homme. Ces deux interprétations continuent de colorer les débats sur les tours.” (2)
Les tours, héritières de la quête millénaire de l'élévation humaine depuis la tour de Babel, incarnent un débat éternel entre progrès vertical et les défis inhérents, symbolisant à la fois l'élévation intellectuelle et la chute de l'homme.
L'émergence des tours d'habitation à Paris a suscité un certain nombre d'arguments en leur faveur, qui mettent en avant les avantages et les opportunités qu'elles offrent à la capitale française. Les partisans des tours d'habitation mettent en avant l'idée que ces structures verticales sont une réponse adéquate aux défis liés à la croissance démographique et à l'urbanisation rapide. Alors que Paris continue d'attirer des habitants, l'espace disponible en surface devient de plus en plus limité. Les tours permettent d'optimiser l'utilisation de l'espace en offrant une densité de logements plus élevée, ce qui est particulièrement important dans une ville où le foncier est limité.
“Les immeubles de grande hauteur (qui mesurent plus de 50 mètres, NDLR) permettent de lutter contre l’étalement urbain et ainsi de préserver les espaces cultivables ", défend dans un article du journal La Croix
“Des tours pour lutter contre l’étalement urbain” Jean-Louis Missika, adjoint à la maire de Paris chargé de l’urbanisme. (3)
La verticalité des tours est considérée comme une solution innovante. En construisant en hauteur, les espaces au sol peuvent être réservés à des parcs, des jardins et d'autres équipements publics, contribuant ainsi à maintenir une certaine qualité de vie urbaine.
Les tours d'habitation ont également des implications sociales et culturelles qui à première abord semblent être positives. Elles permettent de créer une variété de logements accessibles, favorisant la mixité sociale et culturelle. Les quartiers qui intègrent des tours deviennent souvent des carrefours de diverses communautés, encourageant ainsi l'échange et la diversité. De plus, les tours peuvent devenir des centres de vie, proposant des espaces commerciaux, des équipements communautaires et des opportunités d'interaction sociale.
Les aspects positifs de la tour, Croquis, Lily Meunier 13/11/2023
Bien que la tour soit un modèle qui tend au débat et qui reprend une place dans le paysage français (comme à Lyon, Marseille…) leur retour dans les communes-centres peut marquer un retournement : les tours d'habitation peuvent servir à affirmer une stratégie métropolitaine qui n'est pas exempte du marketing territorial. Promoteurs privés et pouvoirs publics en font le marqueur d'une forme de renouveau urbain destiné principalement, malgré les discours, aux classes sociales populaires. Est-ce que la vie dans les tours n'est pas une erreur à Paris ? Quelle est la réalité vécue par les habitants ?
En France, contrairement à des pays comme les Etats-Unis, le modèle de tours n’est pas culturellement un modèle phare de construction, car l’importance de la présence de patrimoine historique dans les villes explique en partie ce rejet par les politiques et les habitants. La France reste très marquée par l’échec des tours d’habitation sociale des grands ensembles, ce qui explique sa difficulté à accepter d’en implanter de nouvelles sur le territoire et les résistances.
"L’habitabilité d’un immeuble, d’une rue, d’un quartier, d’une ville, repose avant tout sur la pulsion de vivre et de créer de chaque terrien, de parler à l’autre, d’échanger, de communiquer, d’être avec et parmi, dans une unité affective avec la Terre et le Ciel, les éléments, et non pas sur son isolement dans une tour, fût-elle de verre … ou d’ivoire !". (4)
Si l'on examine cette citation, Thierry Paquot émet l'idée que la qualité de vie d'un bâtiment, d'une rue, d'un quartier ou d'une ville dépend principalement de la capacité des habitants à vivre pleinement, à s'exprimer, à collaborer, à se sentir connectés à leur environnement naturel (symbolisée par la Terre et le Ciel) et à leurs semblables.
En contraste, l'isolement dans des tours d'habitation, représentées ici par "une tour, fût-elle de verre… ou d’ivoire !", est perçu comme une forme d'habitat qui peut entraver ces interactions humaines. Les tours peuvent être vues comme des symboles de l'urbanisme qui privilégie la verticalité au détriment de la vie communautaire. Cette affirmation suggère que pour favoriser une véritable habitabilité, les structures architecturales devraient faciliter les échanges, la communication, et l'intégration des individus dans un ensemble harmonieux, plutôt que de les isoler dans des tours imposantes et impersonnelles.
Dans l’ouvrage de Thierry Paquot La folie des hauteurs : pourquoi s'obstiner à construire des tours ?, la tour est dépeinte comme symbole d’un capitalisme(5) oublieux des territoires. Elles sont parées de vertus écologiques qui ne sont pas justifiées car par leur matériau de construction, leurs consommations d'électricité ne peuvent revendiquer leur statut écologique. Enfin, elles sont, pour l’auteur, une opportunité inappropriée à la crise du logement, elles deviendraient la réponse la plus simple au déficit actuel de l’offre. Par une astucieuse manœuvre, les tours, symboles du libéralisme économique et de l’uniformisation planétaire, deviendraient sociales, écologiques et même durables. Les liens de sociabilité ne sont pas forcément évidents entre les différents habitants d’une tour. Même si les profils se ressemblent, la typologie de la tour et le nombre élevé de logements qui sont présents ne favorisent pas les relations entre voisins.
Les aspects négatifs de la tour, Croquis, Lily Meunier 13/11/2023
Vivre dans une tour équivaut à vivre dans un ensemble de services : conciergerie, service de sécurité, salles de sport et cinéma peuvent être intégrés au complexe, de quoi finalement presque ne plus avoir besoin de sortir de son bâtiment. Fortement appréciés par les résidents, ces services tendent cependant à diminuer l’implication des habitants des tours dans le reste du quartier. De plus, les ombres créées par les nombreuses constructions noient des quartiers dans l’obscurité, accentuent et impactent fortement l’atmosphère urbaine.
Pour ou contre les tours, la question n’est pas là, quand dans le 13e arrondissement ces tours existent depuis une cinquantaine d'années et font partie de l’identité propre du quartier. Malgré les avis controversés et leurs positions paradoxales, les tours d’Italie 13 représentent les échecs de l’urbanisme de tour en France, soulignant les défis persistants liés à la planification urbaine verticale et mettant en lumière les leçons à tirer pour l'avenir du développement urbain. Cependant elles possèdent des particularités indéniables, qui leur confère un caractère propre, elles ont une place rare au sein de la capitale, une population dense au sein d’une même structure, des espaces communs privé/public tels que la dalle des Olympiades, des rangées de boîtes aux lettres, des immenses halls et avec pour certains, un caractère d'époque année 70, des cages d’escaliers, des ascenseurs énormes, des centres de contrôle, des toits aménagés…
Elles renferment des secrets dont seul un parisien habitant dans une tour du 13e arrondissement peut en maîtriser le mystère. Bien que critiquable, que peut-on faire avec ce qui est déjà là d’un point de vue mémoriel, social, narratif pour incarner ce mode de vie ?
Rangées de boîtes aux lettres, Tour Anvers, Photographie: Lily Meunier, 21/10/2023
Au pied des tours
Lorsque nous examinons de plus près nos réserves concernant les habitations en tour, il est possible que la clé de notre réticence se trouve justement au pied de ces structures. Le pied des tours représente à la fois l’aspect privé avec ses appartements et l’aspect public du bâtiment. C’est par là que passent tous les habitants de la tour ainsi que les visiteurs. Être au pied des tours, c’est entrer dans un quartier et aller au plus proche de cette habitation. Prenons l'exemple des Olympiades : bien que la dalle unifie le quartier, il semble qu'il y ait peu, voire aucune interaction entre les différentes tours. Bien que des commerces soient présents sur la dalle, ils sont souvent peu fréquentés, n’étant ainsi qu'un simple lieu de passage. Néanmoins, il est à noter que la présence de commerces asiatiques dans les environs crée une vie de quartier dynamique et vivante, mais cela ne se reflète pas nécessairement au pied des autres tours d’Italie 13.
En bas des tours Masséna-Villa Estes, on se retrouve généralement face à un chemin qui semble nous diriger directement vers la sortie. Le même problème se pose pour d'autres ensembles, comme celui de l'îlot Galaxie où, bien que des commerces soient situés aux abords des tours, ils ne semblent pas favoriser des interactions significatives entre les habitants. Dans le cas de tours comme Super Italie, implantées le long d'avenues, l'animation en bas de celles-ci ne contribue pas de manière significative à la vie des habitants des tours ou du quartier.
En France, ce problème se manifeste fréquemment : les espaces au pied des tours ne sont pas toujours pleinement exploités, renforçant ainsi le sentiment d'insécurité et l'impression d'inactivité dans ces zones. Un imaginaire collectif s'est alors créé en bas des tours, il peut y avoir des préoccupations concernant la sécurité, ce qui peut dissuader les résidents de passer du temps au pied des tours. Une mauvaise perception de ces espaces peut également conduire à un manque d'activités, les espaces au pied des tours sont souvent zonés pour des activités spécifiques, comme les commerces, mais l'ouverture à d'autres types d'activités peut être limitée... Pourtant, ces espaces pourraient être des lieux de convivialité où les habitants pourraient partager des moments de communion. Il est essentiel de mettre en avant ces espaces au niveau local afin de tirer parti de la densité de population et de créer des environnements propices à la vie communautaire favorisant les échanges avec également les autres parisiens.
En comparaison à New York, on trouve des différences significatives. À New York, la densité de population, la mixité des usages, l'accessibilité aux transports en commun, la diversité culturelle et le désir d'urbanité contribuent à faire des quartiers de tours des lieux de vie dynamiques et actifs surtout grâce à la présence de petits commerçants qui tendent à disparaître en France et notamment à Paris, où les choix d'urbanisme, les politiques d'aménagement urbain et les préférences culturelles jouent un rôle dans ces disparités. Il pourrait être avantageux d'explorer des solutions visant à mettre en valeur les espaces au pied des tours déjà existantes à Paris, en s'inspirant des pratiques de villes comme New York, afin de favoriser une vie de quartier plus riche et conviviale.
Pour dynamiser ces espaces, il pourrait être nécessaire d'encourager une plus grande diversité d'usages, de promouvoir des initiatives culturelles et communautaires tout en travaillant sur la perception de sécurité.
Ce n’est alors pas forcément l’imaginaire lié à la tour qui est rejeté par les parisiens, mais peut être le sentiment qu’au pied de celle-ci il ne se passe pas grand-chose. Redonner vie à ces espaces ne pourrait-il pas changer l’imaginaire que l’on a à l’égard de la tour ? Comment raconter ces espaces délaissés ?
Le récit incarné par la tour du 13e arrondissement
Le film Les Olympiades de Jacques Audiard paru en 2021 est une ode à cet ensemble des années 70. À première vue, ce film traite d’une histoire d’amour entre quatre protagonistes, trois femmes et un homme. Tous les quatre viennent de milieux socio-culturels différents, n'exercent pas les mêmes métiers. On trouve Émilie, une Franco-Chinoise diplômée de sciences politiques, travaillant dans un centre d'appels, Camille, un professeur de lycée, et Nora, une jeune provinciale qui retourne à l'université. Émilie et Camille entament une relation libre et décomplexée, privilégiant le sexe et la séduction. En revanche, Nora fait face au cyber-harcèlement à son arrivée à la fac et engage une relation amicale en ligne avec Amber Sweet, une prostituée. À distance, elles partagent alors leurs expériences. L'histoire explore l'érotisme, le désir et les interactions humaines à travers ces personnages aux vies différentes. Ils évoluent dans un film en noir et blanc, à la manière de Woody Allen, dans le film Manhattan. Le film commence par des plans doux, sensuels et assez lents qui s'introduisent par les fenêtres des habitants reflétant la multitude de vies que recèle cet ensemble des Olympiades.
“Le décor est le quartier géométrique des Olympiades, dans le 13e arrondissement de Paris, avec ses tours, autour desquelles la caméra plane. Derrière chaque fenêtre, des personnes vivent, font l’amour, se sentent seules, espèrent.” (6)
“Les Olympiades, c’est accepter la solitude pour mieux en sortir.(...) Connectés en permanence, sans jamais vraiment l’être.(...) Aux Olympiades, les gens s’entassent dans cette ville dans la ville conçue au début des années 70.” (7)
Dans le film, si l’on centre l’analyse sur l'habitat, il met en lumière l'ambivalence des tours d'habitation. D'un côté, elles représentent la solitude et l'uniformité des relations amoureuses et de la vie quotidienne et dont la tour est la métaphore. Elles symbolisent une certaine froideur et distance entre les habitants. Cependant, d’un autre côté, Audiard parvient à sublimer ces espaces, en utilisant des plans lents pour révéler la richesse de la vie qui s'y déroule. Il nous montre que derrière l'apparente uniformité, il y a une diversité d'histoires humaines, de rencontres et de moments qui se déroulent dans ces environnements verticaux, mettant ainsi en valeur la complexité paradoxale de l'expérience humaine au sein des tours d'habitation.
Du point de vue du cinéaste, en rentrant dans la tour, des récits de l'imaginaire peuvent alors se créer. Pénétrer dans la tour, c'est entrer dans un microcosme où se jouent des drames humains, des moments de joie, de peine, de désir et d'amour. C'est un espace qui permet de dévoiler la diversité des vies qui s'y déroulent, chaque appartement abritant son propre récit, par son aménagement, ses particularités, ses résidents passés et actuels. Dans ces espaces étroits, des émotions sont partagées. L'intimité des logements se transforme en scène pour des émotions humaines, créant un contraste captivant entre la chaleur des espaces intérieurs et la façade austère de la tour.
Le réalisateur nous montre alors via son film que ces espaces verticaux ne sont pas simplement des boîtes anonymes empilées les unes sur les autres, mais plutôt des toiles de fond pour une multitude d'histoires personnelles. L'amour, la solitude, l'identité et le désir s'entrelacent dans ces décors, offrant une vision plus profonde et nuancée de la vie en hauteur. Audiard nous montre qu'au-delà des apparences, ces espaces sont vivants, émotionnels et complexes, tout comme les individus qui les habitent. Cette vision est empruntée à celle d’un cinéaste qui imagine ce qu’il se passe derrière les murs. Mais cela correspond-il à ce que les habitants vivent vraiment ? Voit-on vraiment au sein des tours du 13e des liens forts se créer ?
Les Olympiades de Jacques Audiard, 2021
Ce film fait partie de ce que l’on appelle précisément le récit urbain qui fait appel au temps, à la mémoire et à l’imaginaire. C’est une pratique consistant à raconter l’histoire d’un territoire, son paysage actuel et à se projeter dans des paysages à venir.
Le récit urbain généré par la culture collective Croquis Lily Meunier 14/11/2023
Le récit se définit comme une présentation, qu'elle soit orale ou écrite, d'événements réels ou imaginaires. Il s'agit d'un propos rapportant des faits, ou un récit apportant le reflet d’événements et permettant ainsi une immersion dans un même lieu. En littérature, le récit correspond à une œuvre littéraire relatant des faits, qu'ils soient vrais ou imaginaires.
Récit et mémoire peuvent s’articuler ensemble. Le récit peut être celui de la mémoire. Le récit urbain prend en compte les représentations culturelles et médiatiques qui façonnent la perception de la ville, tels que les films, les romans, les photographies, les arts visuels et les musiques. Il examine également la façon dont les résidents et les visiteurs s’approprient la ville, en créant des espaces culturels alternatifs, en organisant des événements communautaires et en pratiquant des formes d’expression culturelle urbaine telles que le graffiti, la danse, la musique et la mode.
Cela se passe dans la durée, dans le temps. L'histoire de la ville, tissée de souvenirs et d'expériences, évolue au fil des générations, se mélangeant avec les récits contemporains qui façonnent notre compréhension de l'urbanité. Les quartiers se transforment, les bâtiments se réinventent, mais les récits et les mémoires continuent de se superposer, créant un palimpseste urbain riche et complexe. Ces récits, à la fois individuels et collectifs, contribuent à forger l'identité d’un lieu, à en explorer les multiples facettes et à nourrir le lien entre les citoyens et leur environnement urbain.
“Le temps devient humain dans la mesure où il est articulé de manière narrative; en retour le récit est significatif dans la mesure où il dessine les traits d’une expérience temporelle” (8)
Dans son livre Le quotidien urbain: Essais sur les temps des villes, Thierry Paquot, bien que critique envers le concept des tours d'habitation, propose néanmoins le récit comme un outil pour valoriser l'espace urbain. Il suggère que le temps n'est pas simplement un concept abstrait, mais plutôt qu'il est vécu et compris à travers des récits et des histoires. En articulant des événements passés, présents et futurs dans une narration cohérente, les récits donnent un sens et une signification au temps. Les expériences temporelles des individus sont ainsi façonnées par les histoires qu'ils racontent et qui leur sont racontées. Cependant dans les tours, les récits ne se transmettent pas d’étages en étages, de paliers en paliers, in fine, rien ne se raconte. Quand on analyse le forum “bulle immobilière” très peu d'habitants parlent du voisinage ou des liens créés dans les tours.
Annexe 2, extrait du blog
http://www.bulle-immobiliere.org/forum/viewtopic.php?t=36638
Beaucoup de témoignages sont tournés autour du coût des charges, du bruit, du quartier, des étages élevés, de la vue des fenêtres, des services (ascenseur, surveillance), de l'esthétique vieillissante, de la comparaison avec le style Haussmannien… Les réponses ne sont pas tournées autour du vivre ensemble dans la tour et des liens sociaux qui se créent au sein de cette structure. Par exemple, pour faire lien il pourrait être envisagé de demander aux habitants de parler d’un aspect très spécifique comme ce qu’ils voient de leurs fenêtres, ce qu’ils voient d’en bas au pied des tours.
Les récits peuvent prendre différentes formes, telles que les récits historiques qui racontent l'évolution de la ville au fil du temps, les récits touristiques qui mettent en avant les attractions de la ville, ou encore les récits culturels qui soulignent les aspects artistiques et créatifs de la ville. Ces récits contribuent à la représentation temporelle de la ville, en faisant émerger des images et des imaginaires collectifs qui influencent la manière dont les citadins perçoivent leur environnement urbain.
La tour, en tant qu’espace emblématique du 13e arrondissement, est bien plus qu'un simple bâtiment. Elle pourrait agir comme un outil pour extraire des récits singuliers. Elle est elle-même romancée, via des films, des ouvrages, des représentations. Sa conception et son fonctionnement sont intrinsèquement liés à une logique narrative qui pourrait être unique dans Paris. L'élément le plus remarquable de cette logique narrative réside dans l'empilement de témoignages de vie, au sein de celle-ci. Chaque individu qui habite dans cet édifice apporte sa propre histoire, son expérience et son point de vue.
En conclusion, le débat sur l'habitation en tour est complexe, en particulier dans le 13e arrondissement de Paris. Les tours d'habitation représentent à la fois des opportunités et des défis pour la vie urbaine. D'un côté, elles offrent une solution innovante à la densification urbaine, en optimisant l'utilisation de l'espace et en favorisant la mixité sociale. De l’autre côté, elles soulèvent des préoccupations concernant l'isolement des habitants, la froideur des relations sociales et le manque d'animation au pied de ces structures. Le pouvoir du récit urbain se manifeste dans la façon dont ces tours sont perçues et vécues. Elles ne sont pas simplement des bâtiments impersonnels, mais des espaces qui abritent une multitude d'histoires personnelles. Le film Les Olympiades de Jacques Audiard illustre bien cette complexité en montrant la richesse des expériences humaines qui se déroulent au sein de ces tours. Pour que les tours d'habitation soient pleinement valorisées et acceptées par la population, il est essentiel de trouver les moyens d’investir les espaces au pied des tours.
En fin de compte, les tours d'habitation ne sont ni une opportunité ni une erreur en soi, mais plutôt un espace en constante évolution qui peut être façonné par les récits et les expériences des habitants. La tour du 13e arrondissement, avec ses particularités et sa richesse d’histoires, peut être un exemple de la manière dont l'imaginaire collectif peut être transformé pour refléter la véritable complexité de la vie urbaine en tour. La question qui se pose alors est la suivante : quel type de récit voulons-nous partager, et comment pouvons-nous l'exposer de manière à mettre en valeur ces tours emblématiques tout en célébrant leur complexité et leur histoire ? Il est également crucial de se demander comment investir les espaces au pied de ces tours pour en faire des lieux de vie, propices aux interactions sociales et ainsi influencer l'imaginaire collectif autour de l’habitat de tour.
Note de bas de page
(1) Charte d’Athènes 1933, Le Corbusier
(2) Dreyfus, R. P. S. « Il y a une fascination-réticence pour les tours depuis le XIXe siècle ». La Croix. https://www.la-croix.com Publiée le 2 août 2018.
(3) Alexandre L. Des tours pour lutter contre l’étalement urbain. La Croix. https://www.la-croix.com/France/tours-lutter-contre-letalement-urbain-2018-08-02-1200959303. Publiée le 2 août, 2018.
(4) Thierry Paquot, La folie des hauteurs : pourquoi s'obstiner à construire des tours ? 2008
(5) Cela réfère à l'ascension au XXe siècle des quartiers comme Manhattan qui modernise leur quartier via des tours vertigineuses, modèle qui ne correspond pas forcément au paysage de la capitale française.
(6) Les Olympiades de Jacques Audiard, ou les beaux fragments du discours amoureux. (2023, June 9). Télérama. Retrieved from https://www.telerama.fr
(7) St Verraut, B. (2022, November 5). LES OLYMPIADES. Retrieved from https://explicationdefilm.com/2021/11/07/les-olympiades/
(8) Paquot, Thierry. Le quotidien urbain: Essais sur les temps des villes. 2001. p149
(9) http://www.bulle-immobiliere.org/forum/viewtopic.php?t=36638